Comment mesure-t-on ?

Cette page présente les techniques les plus employées dans le domaine de la surveillance de l’environnement, en particulier par les contributeurs au RNM.

Plans de prélèvement et d'analyse

La surveillance réglementaire de l’environnement des installations nucléaires de base est adaptée à chaque type d’installation (centre nucléaire de production d’électricité, usine, laboratoire). Les analyses réalisées sur chaque échantillon suivent des plans prédéfinis élaborés en fonction des rejets (type de rejet, radionucléides et activités rejetées) et de son historique événementiel (incidents et rejets passés).

Préparation des échantillons

Dès réception au laboratoire, les prélèvements sont traités et conditionnés en fonction des analyses radiologiques auxquelles ils vont être soumis. L’analyse de la radioactivité sur un échantillon prélevé dans l’environnement débute par sa préparation.
Celle-ci va du simple conditionnement en récipient de forme normalisée à une préparation plus élaborée comme le séchage, la calcination ou la lyophilisation.

Quantification de l'activité

D’une manière générale, les différentes techniques de traitement des échantillons visent à concentrer un maximum de radioactivité dans un minimum de volume afin de pouvoir détecter la présence de radionucléides à bas, voire très bas niveaux. Dans certains cas, la concentration de l’échantillon débute dès son prélèvement grâce aux dispositifs spécifiques mis en œuvre (exemples : prélèvement des aérosols, des matières en suspension…)

Dans la plupart des cas, l’analyse ne nécessite pas d’utiliser l’intégralité de l’échantillon. Celui-ci est alors homogénéisé préalablement afin que la prise pour essai n’induise pas de biais sur la représentativité de la mesure. La plupart des acteurs de la surveillance effectuent également l’archivage d’une partie des échantillons analysés (filtres, sols et sédiments séchés, échantillons de faune et flore séchés ou calcinés), en vue d’une éventuelle analyse ultérieure par des moyens complémentaires ou plus performants.

La nécessité de concentrer l’échantillon ou d’extraire les radionucléides à mesurer implique la mise en œuvre d’un laboratoire qui permet de réaliser, au meilleur niveau de qualité, tout ou partie des étapes conduisant à la caractérisation des radionucléides présents dans un échantillon.

Méthodes d'analyses radiologiques

De nombreuses méthodes de mesurage de la radioactivité dans l’environnement sont utilisées en fonction des radionucléides recherchés, des matrices à analyser et des performances métrologiques visées. Elles peuvent être divisées de façon générique en deux grandes typologies : la mesure du rayonnement émis par les radionucléides, alpha, bêta ou gamma, et la mesure de l’abondance en masse des radionucléides présents pour remonter à leur activité (on parle alors de spectrométrie de masse). Si la première famille fut la première historiquement et reste la plus répandue, la famille des analyses par spectrométrie de masse est aujourd’hui de plus en plus utilisée, permettant des performances incomparables sur des radionucléides parfois complexes à mesurer par d’autres techniques, comme le carbone-14. Cette partie présente ainsi un état des lieux synthétique des grandes techniques mises en œuvre aujourd’hui dans les laboratoires de mesure des échantillons environnementaux.

Méthodes d'analyses radiologiques

Le comptage proportionnel

Le comptage proportionnel est notamment mis en œuvre pour la mesure des indices d’activités alpha et bêta globaux dans les échantillons environnementaux, en particulier les eaux. Il peut également être utilisé pour des mesures d’émetteurs bêta comme le strontium-90 après une phase de radiochimie. Une préparation est nécessaire avant la mesure. Cette préparation est destinée à obtenir un mince dépôt de matière à analyser sur une coupelle qui est ensuite placée dans le compteur.

Ce mince dépôt résulte soit de l’évaporation d’une solution, soit d’un dépôt de cendre d’incinération de l’échantillon (filtre d’aérosols par exemple).

Le détecteur utilise l’ionisation gazeuse qui permet une mesure des rayonnements α et β : les particules émises par l’échantillon vont arracher des électrons aux atomes (ionisation) d’un gaz présent dans une chambre, générant ainsi des ions chargés, et donc un courant électrique mesurable et proportionnel aux rayonnements.

Evaporateur pour comptage proportionnel
Evaporateur pour comptage proportionnel

La spectrométrie gamma

La spectrométrie gamma est une méthode de mesure permettant d’identifier et de quantifier les radionucléides émetteurs gamma présents dans un échantillon, à partir de la détection des photons X et gamma émis lors de leur désintégration. Elle joue un rôle important dans la surveillance de l’environnement, étant donné qu’un grand nombre de radionucléides naturels ou produits par l’homme émettent ce type de rayonnement.

Origine de la radioactivité

La mesure peut être effectuée avec différents types de détecteurs, les plus utilisés étant les détecteurs à semi-conducteur (ex. : germanium hyper pur, GeHP, voir photo ci--dessous) et à scintillation (ex. : iodure de sodium dopé au thallium, NaI(Tl)). Il s’agit d’une technique rapide, non destructive, et permettant en une seule fois de mesurer l’ensemble des radionucléides émetteurs gamma présents dans l’échantillon. L’analyse peut cependant être complexe selon le type d’échantillon, le nombre de radionucléides présents et leurs caractéristiques, et les niveaux d’activités rencontrés.

Détecteur GePH
Détecteur à Germanium Hyper Pur (GeHP)

Les échantillons peuvent être analysés à l’état liquide ou solide et sont conditionnés dans des récipients de différentes formes (« géométries »), adaptées aux quantités à analyser.

En fonction des radionucléides et des niveaux d’activités attendus, l’échantillon pourra le cas échéant être prétraité (séchage, calcination, concentration). Par exemple, pour pouvoir détecter des radionucléides présentant de très faibles activités, on choisira de calciner l’échantillon afin de le concentrer au maximum dans un minimum de volume. Les photons gamma émis par l’échantillon traité interagissent avec le matériau du détecteur en déposant tout ou partie de leur énergie. Ces interactions produisent des impulsions électriques proportionnelles aux énergies déposées, qui sont collectées et traitées par un système électronique pour être converties en valeurs numériques. Le classement des interactions dans un histogramme donnant le nombre d’événements détectés en fonction de l’énergie déposée permet d’obtenir un spectre dont la gamme s’étend de quelques keV à quelques MeV.

Schéma de mesure gamma

Le spectre est caractérisé par un fond continu et la présence de plusieurs pics :

Spectre gamma

Le nombre d’événements détectés dans un pic permet de remonter à l’activité du radionucléide associé. En effet, l’activité dépend du nombre de coups dans le pic, de l’intensité d’émission du photon détecté, du rendement de détection du système de mesure, du temps de comptage et de divers facteurs de correction.

Les niveaux d’activités dans les échantillons de l’environnement pouvant être faibles (jusqu’à quelques mBq par échantillon), la mesure nécessite de prendre un certain nombre de précautions pour protéger le détecteur du rayonnement gamma ambiant (radioactivité des matériaux entourant le détecteur, rayonnement cosmique). Pour ce faire, d’une part, un blindage de plomb entoure le système de détection de manière à réduire le bruit de fond extérieur radioactivité naturelle tellurique, échantillon mesuré à côté) et, d’autre part, les éléments du détecteur peuvent être également sélectionnés pour leur faible teneur en impuretés radioactives (« détecteur bas bruit »). La composante due à la présence de radon dans l’air peut également être réduite grâce à un renouvellement d’air dans la salle de mesure ou à un balayage de la chambre de détection par un flux d’azote. Pour réduire encore le bruit de fond, la contribution venant du rayonnement cosmique peut quant à elle être diminuée en ajoutant un système anti-cosmique ou en installant le détecteur dans un laboratoire souterrain. Le temps de comptage peut varier entre quelques heures et plusieurs jours selon l’échantillon à analyser, le but étant d’avoir un nombre suffisant de coups dans les pics étudiés.

La spectrométrie alpha

Étant donné le caractère peu pénétrant des particules alpha, ce rayonnement ne traverse pas la matière. Cette faible pénétration impose donc de retirer de l’échantillon environnemental toute la matière qui le compose à l’exception de l’élément chimique à mesurer. Cette opération de purification résulte d’un traitement chimique poussé dont les étapes sont résumées ci-dessous.

Purification de l'échantillon

Dans un premier temps, les échantillons solides sont séchés et calcinés pour éliminer respectivement l’eau et les composés organiques contenus dans l’échantillon. Une mise en solution est alors réalisée à chaud avec des acides concentrés (HNO3, HCl, HClO4, HF). Des étapes de séparation permettent de l’isoler du reste de la matrice, et donc des autres émetteurs alpha pour éviter les interférences (deux radionucléides pouvant émettre des rayons alpha de même énergie). La durée du traitement radiochimique peut atteindre 3 semaines selon le radionucléide, le type et la masse de l’échantillon à analyser.

Les échantillons issus de la radiochimie (sous la forme de disques inox ou de filtres) sont placés dans une chambre de comptage équipée d’un détecteur à semi-conducteur à base de silicium. Les particules alpha émises par l’échantillon interagissent avec le détecteur placé quasiment au contact de l’échantillon, créant un courant électrique dans celui-ci, dont l’amplitude et l’intensité sont proportionnelles à l’activité et à l’énergie des particules alpha. Le signal ainsi généré est converti en un spectre d’énergie exploitable par le mesureur. Les durées d’acquisition sont généralement de 2 à 3 jours afin d’atteindre des seuils de décision compatibles avec les besoins de la surveillance.

La scintillation liquide

La scintillation liquide est la méthode privilégiée pour la mesure des radionucléides émetteurs bêta comme le tritium, le carbone-14 ou le strontium-90. Pour cette mesure, la solution radioactive est mélangée avec un liquide scintillant qui transforme l’énergie de la désintégration en rayonnement lumineux.

Schéma de la scintillation liquide

Cette technique, très utilisée dans les laboratoires de mesures, est fiable et relativement facile à mettre en œuvre. Ses principaux avantages sont l’efficacité de détection et l’absence de barrière physique entre la solution radioactive et le scintillateur (les deux étant réunis dans une solution homogène). Cette configuration permet la détection de rayonnements de faible énergie avec des limites de détection basses, particulièrement pertinentes pour les activités dans l’environnement. Néanmoins, pour les échantillons complexes comme ceux de l’environnement, cette technique nécessite souvent une préparation et une séparation chimique afin d’éviter des interférences lors de la mesure.

Après le traitement chimique, l’échantillon en solution est mélangé à du liquide scintillant. Ce dernier est notamment composé d’un solvant organique et de scintillateurs (molécules scintillantes) dont le rôle est de transformer le rayonnement bêta en rayonnement visible. Le solvant est excité sous l’effet du rayonnement bêta et les scintillateurs émettent de la lumière lorsque le solvant est excité. Des photomultiplicateurs amplifient ensuite la lumière émise par la scintillation. La majorité des compteurs récents comprennent des passeurs d’échantillons automatiques permettant de mesurer des séries d’échantillons et ainsi augmenter la capacité des laboratoires.

Appareil de scintillation liquide
Appareil de mesure par scintillation liquide

Le signal obtenu est traité par un analyseur et présenté sous forme d’un spectre d’énergie. Comme pour la spectrométrie alpha (cf. plus haut), la surface des pics d’énergie du spectre fournit l’activité du radionucléide contenue dans l’échantillon initial.

La spectrométrie de masse à plasma induit (ICP-MS)

La spectrométrie de masse à plasma induit (ICPMS) est l’une des techniques analytiques les plus sensibles pour l’identification et la mesure d’une large gamme d’éléments présents dans les échantillons de l’environnement. Ceux-ci pouvant être particulièrement complexes et difficiles à traiter, notamment en raison de leurs compositions chimiques très variables, une étape de préparation radiochimique est nécessaire. Elle inclut la mise en solution de l’échantillon, lorsqu’un solide est analysé, puis une séparation et une purification qui permettent d’isoler l’élément chimique d’intérêt. Cette étape de traitement est primordiale pour concentrer l’échantillon, supprimer ou diminuer les interférences principalement liées à la présence d‘espèces ayant la même masse, et obtenir une solution adaptée à l’élément et à l’appareil de mesure.

Un nombre de plus en plus important de laboratoires utilise cette technique pour la mesure rapide de certains radionucléides de longue période, comme l’uranium, le radium ou le thorium. Cette technique permettant également de quantifier les différents isotopes. La mesure par ICP-MS repose en effet sur la différence de masse entre atomes, et non sur leurs propriétés radioactives. La sensibilité de l’appareil et l’élimination des interférences lors de la mesure permettent d’atteindre de très faibles concentrations (voire des traces), comme celles présentes dans l’environnement : jusqu’à quelques femtogrammes (10-15 g) par gramme d’échantillon. Toutefois, la limite de quantification (masse de l’élément la plus faible mesurable) dépend de la prise d’essai analysée, de la matrice de l’échantillon et de la période radioactive du radionucléide recherché. En effet, à activité (en Bq) égale, un radionucléide de période longue aura un nombre d’atomes plus élevé, et donc une limite de quantification plus faible.

ICP-MS Tableau

De ce fait, dans le cadre des analyses réalisées pour la surveillance de l’environnement, les performances des instruments actuels permettent de quantifier à bas niveau les radionucléides ayant une demi-vie supérieure à environ 1 000 ans.

La figure suivante schématise le principe de fonctionnement d’un ICP-MS :

ICP-MS Principe

Un ICP-MS est composé d’un système d’introduction, d’un spectromètre permettant la sélection des ions et d’un détecteur. À son introduction, l’échantillon liquide est pulvérisé en fines gouttelettes grâce à un gaz vecteur. Sous l’effet d’un plasma d’argon, les espèces présentes sont atomisées et les atomes sont ionisés. La partie spectromètre de masse permet alors de séparer les ions en fonction du rapport masse/ charge (m/z) afin d’isoler les isotopes d’intérêt. Enfin, le détecteur en sortie du spectromètre est un multiplicateur d’électrons et permet de compter les ions et de déduire ainsi leur concentration et leur activité. La capacité de l’ICP-MS à balayer les isotopes très rapidement permet l’analyse de nombreux isotopes en quelques minutes seulement.

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